Des propositions de lecture et des chroniques pour les amoureux des mots.

LES LECTURES DU PAPE

Pourquoi les contes de fées sont-ils nés avec l’humanité et pourquoi doit-on continuer à en raconter aux enfants ?

Les contes de fées, tout en divertissant l’enfant, l’éclairent sur lui-même et favorisent le développement de sa personnalité. Ils ont tant de significations à des niveaux différents et enrichissent tellement la vie de l’enfant qu’aucun autre livre ne peut les égaler. Bruno Bettelheim dans La Psychanalyse des contes de fées explique comment ces récits aident les enfants à donner un sens à leur monde intérieur tout en leur offrant des stratégies pour affronter leurs angoisses et combien ils sont importants pour leur développement psychologique et émotionnel.

Pourquoi – Comment

Souvent simples en apparence, ils possèdent une profondeur symbolique qui parle à l’inconscient de l’enfant et l’aide à appréhender des thèmes universels comme la peur, le courage, l’amour, ou la quête de soi.

  • Ils offrent des repères symboliques : Les personnages et les situations archétypales permettent à l’enfant d’explorer ses propres émotions et conflits internes dans un cadre sécurisant.
  • Ils favorisent l’imagination : En confrontant l’enfant à des mondes imaginaires, ils cultivent sa créativité et lui offrent des outils pour envisager différentes solutions face à des défis.
  • Ils transmettent des leçons morales : Sans être didactiques, les contes véhiculent des valeurs comme la justice, la persévérance ou la compassion, souvent à travers des métaphores accessibles.
  • Ils fournissent une catharsis : Les conflits et les résolutions des contes permettent à l’enfant d’exprimer et de comprendre ses propres craintes et désirs.

Mais d’où viennent-ils ?

Les contes de fées, tels que nous les connaissons aujourd’hui, trouvent leurs origines dans des traditions orales très anciennes, remontant à des milliers d’années. Leur histoire est riche et complexe, et leur transmission a évolué avec le temps. Transmises de génération en génération et présentes dans presque toutes les cultures, ces histoires servaient à expliquer des phénomènes naturels, à exprimer des leçons morales ou à divertir. À l’origine, les contes n’avaient pas d’auteur unique. Ils appartenaient à une tradition populaire, souvent adaptée en fonction des lieux et des époques ( Cendrillon ou Barbe Bleue, par exemple, ont des versions dans de nombreuses cultures, avec des variantes locales ).

Les premières traces écrites apparaissent dès l’antiquité. On trouve des récits proches des contes dans les textes égyptiens, comme Les deux frères, considéré comme un des plus anciens contes connus (vers 1200 avant J.-C.). En Inde, le Panchatantra (IIIe siècle av. J.-C.) est constitué d’une collection de récits animaliers qui ont influencé de nombreux contes ultérieurs. En Orient, Les milles et une nuits ont popularisé de nombreux récits merveilleux, comme Aladdin ou Ali Baba et les quarante voleurs. Dans l’Europe du Moyen-âge, d’autres récits merveilleux se transmettaient dans les veillées paysannes. Ces histoires incluent souvent des éléments magiques et reflètent les préoccupations sociales de l’époque (famines, injustices, mariages arrangés). Des conteurs itinérants, troubadours et ménestrels diffusaient ces récits oraux dans les cours seigneuriales.

L’émergence du conte littéraire – Les contes de fées passent de l’oralité à l’écrit grâce à des auteurs qui commencent à les collecter et à les réinventer : Charles Perrault (France, XVIIe siècle) dans son recueil des Contes de ma mère l’Oye (1697), les frères Grimm (Allemagne, XIXe siècle) rassemblent des récits populaires allemands dans Contes pour l’enfance et le foyer (1812) ou Hans Christian Andersen (Danemark, XIXe siècle) qui, contrairement à Perrault et aux Grimm, invente ses propres histoires, inaugurant le conte d’auteur.

Il était une fois…

Ces mots magiques ouvrent la porte d’un monde où tout devient possible, un monde où le réel et l’imaginaire se mêlent pour nous transporter dans des aventures extraordinaires. Cette formule universelle, qui débute tant de contes, crée une distance entre le quotidien et le récit, nous invitant à suspendre notre incrédulité et à plonger dans une histoire intemporelle. Cette expression tire ses origines des traditions orales, bien avant que les contes ne soient écrits. Elle est devenue un élément distinctif de la narration folklorique en Europe, mais il est difficile d’attribuer son utilisation à une personne ou une œuvre précise.

Lors d’une narration orale, une formule d’ouverture était essentielle pour signaler le début d’une histoire, marquant une séparation avec la réalité. En français, « Il était une fois » est attesté dès le Moyen Âge. Elle sert à introduire un univers atemporel et universel, comme cela se fait aussi dans d’autres langues européennes (par exemple, « Once upon a time » en anglais ou « Es war einmal » en allemand). Ces formules permettent de situer le récit dans un temps indéfini, souvent associé à un « âge d’or » mythique. Cependant, son usage systématique est surtout popularisé à partir du XVIIe siècle grâce aux auteurs de contes comme Charles Perrault.

Un incontournable à la loupe – LE PETIT CHAPERON ROUGE

Ce conte, issu de la tradition orale et popularisé par Charles Perrault puis par les frères Grimm, est riche en symboles et en messages à différents niveaux : psychologique, moral, social et culturel.

Il raconte l’histoire d’une fillette envoyée par sa mère porter des provisions à sa grand-mère malade. En chemin, elle rencontre un loup qui, par ruse, dévore d’abord la grand-mère, puis le Petit Chaperon Rouge elle-même (dans la version de Perrault) ou se fait déjouer par l’intervention d’un chasseur (dans la version des Grimm).

Axes d’analyse

1. Symbolisme psychologique
  • Le chemin et la forêt : Le chemin représente l’ordre et la sécurité, tandis que la forêt symbolise l’inconnu, les tentations et les dangers de la vie. Le passage par la forêt peut être vu comme une métaphore du passage de l’enfance à l’âge adulte.
  • La rencontre avec le loup : Le loup incarne les pulsions, les dangers du monde extérieur, mais aussi l’attirance pour ce qui est interdit. Cette rencontre représente une confrontation avec des forces internes (désirs, curiosité) et externes (prédateurs, manipulateurs).
  • Le Petit Chaperon Rouge : Avec son innocence et sa naïveté, elle est une figure de l’enfance. Son capuchon rouge peut être interprété comme un symbole de la puberté, de l’éveil des émotions et des dangers associés à la transition vers l’âge adulte.
2. Morale et intention éducative
  • Dans la version de Perrault, le conte se termine tragiquement, avec le Petit Chaperon Rouge et la grand-mère dévorées. Perrault souligne une morale explicite : ne pas se laisser séduire par les « loups » sous forme humaine, qui représentent des hommes séducteurs et malintentionnés.
  • Dans la version des Grimm, le chasseur sauve le Petit Chaperon Rouge et sa grand-mère, suggérant qu’il est possible de réparer ses erreurs et que l’aide peut venir de figures protectrices.
3. Dimension sociale
  • Rôle des femmes : Le conte reflète les attentes sociales de l’époque. La fillette est avertie de ne pas dévier du chemin, un symbole de la norme sociale à respecter, et elle est punie pour sa désobéissance.
  • Figure du loup : Au-delà de l’aspect animal, le loup est une figure d’oppresseur, un prédateur qui représente des dangers bien réels, comme les abus ou la domination masculine.
4. Archétypes et universalité
  • Le loup : Archétype du prédateur rusé, il revient fréquemment dans les contes comme une figure qui teste les héros et héroïnes.
  • Le cycle de la vie : Le conte évoque aussi la fragilité humaine (représentée par la grand-mère malade) et le besoin de vigilance face aux épreuves de la vie.

Le Petit Chaperon Rouge est un conte d’une grande richesse interprétative. Il met en garde contre les dangers du monde, tout en initiant une réflexion sur les désirs et les transitions de la vie. Selon les versions et les époques, il peut être lu comme une simple histoire de prudence ou comme une parabole complexe sur la nature humaine et les relations sociales.

L’analyse en détail sur France culture – ICI

Le conte d’auteur moderne – LE PETIT PRINCE

Le Petit Prince, écrit par Antoine de Saint-Exupéry en 1943, est souvent qualifié de « conte moderne ». Bien qu’il s’éloigne des contes traditionnels par son style et ses thèmes philosophiques, il partage plusieurs caractéristiques qui le rattachent à ce genre. Pourquoi est-il considéré comme un « conte d’auteur moderne » ?

1. Un récit universel et intemporel

Comme dans les contes classiques :

  • L’histoire est intemporelle et géographiquement indéfinie. Bien qu’elle commence dans le désert, l’essentiel du récit se déroule dans des lieux imaginaires (les différentes planètes visitées par le Petit Prince).
  • L’usage de l’imaginaire permet de traiter des thèmes universels : l’amitié, l’amour, le sens de la vie, et la perte de l’innocence.
2. Un héros proche de l’archétype des contes
  • Le Petit Prince est un personnage pur, innocent et curieux, comme beaucoup de héros de contes. Son voyage initiatique évoque celui de nombreux protagonistes confrontés à des épreuves pour grandir ou comprendre le monde.
  • Son apparence et son caractère renforcent cette image d’innocence : un jeune garçon vêtu d’une cape, venu d’une planète lointaine, qui pose des questions simples mais profondes.
3. Une structure symbolique et initiatique

Comme les contes traditionnels, Le Petit Prince suit une structure initiatique où le héros évolue à travers des rencontres :

  • Les planètes visitées : Chaque personnage rencontré (le roi, le vaniteux, le businessman, le géographe, etc.) représente une facette de la condition humaine, souvent empreinte d’absurdité ou de solitude. Ces étapes rappellent les épreuves symboliques dans les contes classiques.
  • La quête : À la manière d’un conte, le voyage du Petit Prince est une quête de sens, de compréhension de la vie et de l’amour (symbolisé par sa rose).
  • La fin tragique et poétique : L’issue du récit, où le Petit Prince retourne à sa planète, est ouverte à interprétation, laissant un message profond sur la mort et l’immortalité de l’âme.
4. Des éléments merveilleux

Le récit regorge d’éléments merveilleux propres aux contes :

  • La rose qui parle, les baobabs envahissants, les étoiles qui rient, et les voyages interstellaires créent un univers magique, détaché de la réalité.
  • Ces éléments permettent d’aborder des questions complexes de manière simple, comme dans les contes pour enfants.
5. Une dimension philosophique et moderne

Contrairement aux contes classiques, souvent moraux ou didactiques, Le Petit Prince explore des thèmes existentiels :

  • La critique de l’absurdité humaine : À travers les personnages rencontrés sur les planètes, Saint-Exupéry dénonce la vanité, la cupidité et l’obsession du pouvoir ou du savoir inutiles.
  • La perte de l’innocence : Le Petit Prince incarne la pureté de l’enfance face au monde des adultes, présenté comme corrompu ou déconnecté des choses essentielles.
  • Un message sur l’essentiel : La phrase célèbre « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux » condense l’esprit du conte, mais dans une forme adaptée aux sensibilités modernes.
6. Le conte d’un auteur engagé

Le Petit Prince est aussi une œuvre profondément personnelle. Saint-Exupéry y mêle ses réflexions sur l’humanité, sa solitude en tant qu’aviateur et sa vision du monde en temps de guerre. Contrairement aux contes traditionnels anonymes ou issus de collectifs, celui-ci est le produit d’une voix singulière. Cela le distingue comme un « conte d’auteur », un genre qui émerge avec les écrivains modernes.

En conclusion, Le Petit Prince combine les éléments fondamentaux des contes traditionnels (héroïsme, merveilleux, universalité) avec une profondeur philosophique et une sensibilité moderne. En cela, il s’inscrit dans la lignée des « contes d’auteur », à l’instar des œuvres de Hans Christian Andersen ou d’Oscar Wilde, mais avec une touche unique liée à l’humanisme de Saint-Exupéry.

En conclusion de conclusion, il faut lire et offrir des contes de fées aux enfants, comme le sait bien Charlie le philosophe.

Extrait du roman :

Ce fut une rencontre très spéciale avec une enfant très spéciale. Depuis, je la trouve assez souvent qui m’attend sur les marches de l’escalier. Elle aime les livres…

LE PAPE leva sa main de Pape, index et majeur tendus, pour souligner son explication. Jo se retint de grimacer.

— Elle sait lire. Elle va à l’école… au collège… Elle n’est pas bête, juste décalée… Mais elle préfère m’écouter.

L’ironie et l’amusement frétillèrent dans les yeux de Charlie.

— Mes étagères bien garnies ne le sont pas en littérature enfantine, mais je possède quelques beaux livres de contes, de vieux ouvrages avec de belles illustrations. À la fin de la lecture, elle étudiait les images avec soin, les effleurant avec délicatesse de ses doigts minces. On les a lus un certain nombre de fois, de même que le Petit Prince !

Il rit doucement.

— Je me suis lassé le premier et j’ai tenté d’autres choses. Sais-tu comme elle a apprécié Rabelais… ou Le voyage de Bougainville et même sa controverse par Diderot ? Étonnante… Cette enfant est bien plus intelligente que l’on ne pense.

Jo lui dédia un coup d’œil étonné, Le voyage de Bougainville, dans ses souvenirs on y évoquait des choses pas destinées aux petites filles. La gaité quitta le narrateur qui retrouva sérieux et mélancolie pour répondre à cette muette interrogation.

— C’est une jolie édition avec des gravures, des cartes anciennes. De plus, cela m’avait semblé opportun. Je voulais qu’elle soit au courant, qu’elle comprenne certaines choses de la vie sans avoir à les lui expliquer vraiment. Sa famille est… compliquée…

LA CITE DU PAPE

Qui lit aussi à sa jeune protégée

LE VOYAGE DE BOUGAINVILLE AUTOUR DU MONDE – mené par l’explorateur Louis-Antoine de Bougainville entre 1766 et 1769, c’est l’une des premières circumnavigations françaises. Cette expédition visait à renforcer la présence française dans le Pacifique et à explorer des terres encore peu connues des Européens. Bougainville découvre notamment Tahiti, qu’il décrit comme un paradis terrestre, où règnent innocence et harmonie. Son récit, publié en 1771, suscite fascination et enthousiasme en Europe. L’expédition se déroula à bord de deux navires : La Boudeuse, commandée par Bougainville, et L’Étoile, qui transportait des provisions. Elle rassemblait une équipe constituée de scientifiques – naturaliste, botaniste, cartographe, astronome… – et de dessinateurs.

Cependant, Denis Diderot, philosophe des Lumières, critique ce voyage dans son Supplément au Voyage de Bougainville (1772). À travers un dialogue fictif entre un Européen et un vieillard tahitien, Diderot dénonce l’impact négatif de la colonisation et du choc des civilisations. Il condamne l’exploitation des peuples autochtones et l’imposition des normes européennes, tout en louant la simplicité et la liberté des mœurs tahitiennes.

Ce texte met en lumière les contradictions de l’époque des Lumières, entre l’idéalisation de l’homme naturel et les pratiques coloniales européennes. Par son approche critique et ironique, Diderot ouvre une réflexion profonde sur l’éthique de la découverte et le respect des cultures.

Pourquoi lire le voyage de Bougainville et sa controverse ?

Le récit de Bougainville offre un aperçu des premières grandes explorations françaises, à une époque où le monde restait en grande partie inconnu pour les Européens. Les jeunes ou moins jeunes qui rêvent de voyage peuvent y découvrir des perspectives sur les rencontres avec des cultures ( comme celle de Tahiti ) souvent idéalisées dans le récit. Il contient des descriptions fascinantes de paysages exotiques, de défis maritimes, et de découvertes scientifiques, captivantes pour les esprits curieux et aventureux. Lire Bougainville permet de comprendre comment les Européens percevaient les autres cultures au XVIIIe siècle et comment ils les ont découvertes ( Il ne s’agissait pas juste de préparer son passeport, de prendre un avion et de débarquer dans un aéroport).

En le confrontant à des œuvres critiques comme Le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, cela ouvre un débat sur l’ethnocentrisme, la colonisation et les valeurs des Lumières.

Les philosophes aiment aussi s’amuser, Charlie a beaucoup apprécié la lecture de

Pour en apprendre plus sur Charlie, l’enseignant ultime, le professeur de philosophie des classes de terminales, retrouvez le dans le roman

Zabe Quinez

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